Les personnages des contes

Les contes créoles mettent en scène un certain nombre de personnages que l'on retrouve d'une histoire à l'autre. Pour les contes "animaux" aux Antilles et en Guyane, les personnages de Lapin (Lapen) ou Lyev (Malis en Haïti) et Zamba (Zanba) ou Bouqui (gros animal balourd, parfois assimilé à l'hyène ou à l'éléphant, selon les cultures), ainsi que le Roi (Pè Louwa) se retrouvent classiquement dans les récits. Mais il faudrait encore citer Tigre (Tig), l'Araignée (Zarenye), le Singe (Makak) ou Tortue...

Chacun de ces personnages-animaux représente un type psychologique simple à forte valeur symbolique. Si Lapin, personnage le plus populaire, apparaît toujours comme rusé et savant, il est également toujours dénué de tout scrupule moral : sa grande activité est de tromper son compère Zamba. Il est un "personnage ambigu qui méprise autant les faibles qu'il déteste les puissants" (Joëlle Laurent et Ina Césaire, Contes de mort et de vie aux Antilles, 1976, Nubia). Tigre (ou Lion dans certaines traditions) suscitent toujours la crainte en représentant l'autorité lointaine et toute-puissante : il intervient rarement en personne, et on ne l'approche qu'avec peur et réticence, car les risques sont grands pour qui s'aventure à ses côtés. Boeuf, Cheval sont forts mais ne sont guère intelligents, et se font avoir, notamment lorsque Lapin intervient. Macaque est un peu ridicule, se fait souvent berner, mais toujours drôle. On peut noter à ce propos qu'il n'y a pas et n'a jamais eu de singe aux Antilles : ceci montre clairement l'influence de l'Afrique dans tout ce domaine des contes, influence qui a été soulignée à maintes reprises. Outre la présence de thématiques, de motifs, de personnages très proches de ceux que l'on trouve dans les traditions de l'Afrique (notamment de l'Afrique de l'Ouest), dans le détail on voit évoquer des réalités (cuisine, pratiques rituelles, attitudes, qui sont caractéristiques et que l'on retrouve parfois absolument à l'identique dans des contes du Sénégal ou du Bénin. L'insertion de parties chantées, également en usage dans bien des régions d'Afrique, aux paroles souvent incompréhensibles, renvoie aussi très certainement non seulement à une coutume mais peut-être même à des textes issus de langues africaines et qui se sont transformés au cours des siècles au point de devenir maintenant incompréhensibles, même pour un africaniste chevronné (note 1).

Les animaux, personnages du conte, manifestent un anthropomorphisme plus ou moins prononcé et sont caractérisés par des traits encore plus codifiés que ceux qui définissent les humains. Ainsi Lapin est malin et par ruse se sort des situations les plus délicates, Zamba incarne la sottise et la lourdeur : il se fait régulièrement avoir par Lapin qu'il ne parvient jamais à contrôler. Le Roi manifeste le pouvoir, avec son cortège d'injustice et d'aveuglement : il prend des décisions autoritaires et l'emporterait toujours, car il détient la force, si l'astuce et l'intelligence du héros (par exemple Lapin) ne lui permettait de se débrouiller, éventuellement aux dépens des autres, car le roi (dans lequel les anthropologues se plaisent à voir la représentation du maître) fait toujours des victimes : il sévit, il punit, il sanctionne, fait régner l'ordre et incarne la loi, souvent incompréhensible (et qui apparaît donc comme injuste ou aléatoire) pour celui qui est la victime. Dans la même veine, "Bon Dieu" (Bondyé) a souvent été considéré par les sociologues et anthropologues comme l'image du béké, du Blanc, propriétaire terrien ; à notre époque, on reproche au personnage "Bondyé" aussi bien sa dureté éventuelle que son paternalisme.

D'autres personnages dans les contes créoles donnent lieu à toute une "geste" : on pense en particulier au personnage de Ti-Jean (ou Ti-Jan) que l'on retrouve aussi bien dans la Caraïbe que dans l'Océan Indien, avec de nombreuses variantes, et qui rappelle de nombreux personnages astucieux, présents sous des noms divers dans la tradition française. Il s'agit toujours d'un personnage intelligent, débrouillard, à qui la chance finit par sourire, même s'il a connu ou connaît des malheurs : il représente régulièrement la lutte pour la réussite. Par la ruse, il fait face à un milieu social hostile. Né pauvre, il parvient aux plus grands honneurs de ce monde (il épouse par exemple la fille du roi), au terme d'une véritable quête du bonheur et souvent après avoir accompli de nombreuses épreuves.



Note 1 : A ce propos, pour plus d'informations, on pourra se reporter à un article de Marie-Christine Hazaël-Massieux, paru en 1989 : "Formes brèves et chansons dans Atipa. La littérature orale dans la littérature écrite", in Atipa revisité ou les itinéraires de Parépou, sous la direction de M. Fauquenoy, TED, n° spécial double 7-8 (1989), L'Harmattan, pp. 259-271, ou encore à l'ouvrage également de M.C. Hazaël-Massieux, Chansons des Antilles, comptines, formulettes, 2e édition : L'Harmattan 1996. Plus généralement sur les liens entre le conte africain et le conte créole, on pourra se reporter à Clés pour le conte africain et créole, de Françoise Tsoungui, Editions CILF/EDICEF, coll. "Fleuve et Flamme", 1986.